Cet article de Karin Reiter, chef du développement durable du Groupe Adecco, a été publié d’abord sur le blogue du Groupe, #FutuHReInsight, ici.
Ah, le poids des mots! Lors d’un point de presse, le 20 mars dernier, l’Organisation mondiale de la santé a employé pour la première fois le terme « distanciation physique » et non pas « distanciation sociale ». Ce changement de vocable apparemment minime est pourtant très lourd de sens : il s’agit de souligner que la santé mentale compte autant que la santé physique. Géographiquement, certes, il faut se tenir à distance l’un de l’autre pour protéger la santé de tous et prévenir la propagation du virus; en revanche, il faut plus que jamais encourager la cohésion sociale et les relations humaines.
La planète entière vit des temps terriblement incertains et anxiogènes. Rien que dans mon entourage, je constate de première main l’impact sur le bien-être des employés des pertes d’emploi et du chômage partiel, de l’angoisse que génèrent la peur de ne plus pouvoir gagner sa vie, le double fardeau du travail et des enfants à la maison, la peur de contracter le virus (ou de voir ses proches contaminés) et l’isolement prolongé.
Pour certains, la situation est temporaire, mais pour beaucoup, l’incertitude et ses effets négatifs risquent de durer longtemps, même après les phases les plus aiguës de la pandémie. Le monde du travail n’aura plus, et ne devrait d’ailleurs plus avoir, le même visage après la crise. Il faut s’attaquer aux vulnérabilités et aux lignes de faille exposées par cette dernière. Nos recherches montrent que c’est sur les employeurs, plus que sur toute autre institution, que l’on compte pour « ramener les choses à la normale ». De fait, 80 % des répondants à notre sondage disent faire confiance à leur employeur pour améliorer le milieu de travail après la COVID‑19, et 61 % croient que leur employeur les aidera s’il y a d’autres crises, quelles qu’elles soient.
Fortes d’une telle confiance, les entreprises doivent maintenant faire preuve d’initiative pour accompagner concrètement leur personnel pendant cette période de changement.
Que peut faire l’employeur en matière de santé mentale et de mieux-être?
Adecco figure parmi les plus gros employeurs au monde et à ce titre, nous avions observé l’émergence des changements décrits ci‑dessous, que la pandémie a considérablement accélérés et qui ouvrent la possibilité d’actions structurelles et transformatives.
1. Favoriser de nouvelles formes de travail
Le personnel voudra conserver l’autonomie gagnée pendant la pandémie à l’égard des horaires et des calendriers de travail, et répartir de manière équilibrée travail au bureau et à distance. L’employeur doit toutefois préserver le droit de son personnel au « débranchement ». En effet, les connexions constantes et le manque de repos présentent de grands risques sur le plan psychologique, sous forme, entre autres, d’anxiété, de dépression et d’épuisement professionnel. Avant d’instaurer un nouveau modèle de fonctionnement, il faut impérativement écouter le personnel et s’assurer que les mécanismes de réponse sont bien centrés sur la personne. Le Groupe Adecco a convié des collègues de partout au monde à une série d’ateliers et de débats sociaux libres, les invitant à nous faire part de leurs réflexions, de leurs perspectives et de leurs idées sur l’orientation de ce concept.
2. Réinventer le leadership
La pandémie amplifie la nécessité d’un nouvel ensemble de compétences en leadership, parmi lesquelles l’intelligence émotionnelle devient la nouvelle référence. Les nouveaux leaders doivent montrer davantage d’empathie, communiquer plus clairement, être sensibles au bien-être holistique du personnel et favoriser une relation de travail fondée sur la confiance mutuelle et non plus sur une direction hiérarchique du sommet à la base. Or, les leaders actuels ne sont pas bien outillés en ce sens. Le télétravail et autres déclinaisons souples de l’activité professionnelle sont ici pour de bon. Les gestionnaires doivent donc trouver comment fournir à leur personnel (employés et personnel d’agence) de l’aide et des ressources pour susciter un sentiment d’appartenance. Et il s’agit de bien plus que de technologie. Deux solutions viennent à l’esprit : investir dans le perfectionnement et l’accompagnement professionnels et le relèvement des compétences des gestionnaires, ou recruter des leaders dont le profil est plus en phase avec la main-d’œuvre de demain.
3. Proposer un programme de mieux-être holistique
Les employés veulent être rassurés et savoir que leur sécurité et leur bien-être restent prioritaires. Et les besoins en matière de bien-être ne sauraient être traités isolément les uns des autres : l’objectif est un bien-être holistique, qui tient compte de la personne dans son intégralité et la soutient à tous égards, pour l’aider à composer avec le changement et à en tirer le meilleur parti. Or, nombre d’entreprises n’ont pas le schéma organisationnel qui convient pour adhérer à ces tendances, et le confinement a exposé au grand jour les faiblesses qui en résultent. La Fondation du Groupe Adecco a conçu une méthode, mise à la disposition de tous, pour parvenir au bien-être holistique du personnel. Il s’agit d’articuler les quatre volets du bien-être (le physique, le mental, le social et la motivation) et quatre catalyseurs (culture et image de marque, politique et pratique, environnement, technologie et outils) de façon à assurer l’efficacité et la durabilité de toute intervention ou politique en matière de bien-être.
4. Combler l’écart de compétences
Au sortir de la crise actuelle et avant qu’une autre ne se profile, il faudra envisager la situation à un niveau plus vaste : celui des difficultés structurelles et, parmi elles, l’écart croissant des compétences par rapport à la demande, qui continuera de plomber le marché du travail jusqu’à ce que nous nous y attaquions directement. Nous savons que la résilience professionnelle passe par la capacité d’adaptation, mais notre sondage montre un écart entre le niveau de risque auquel une personne croit être exposée et sa volonté de faire ce qu’il faut pour y remédier. C’est à cet égard que l’employeur doit intervenir, c’est-à-dire renseigner ses employés sur les risques inhérents à leur travail, déterminer ce dont ils ont besoin pour progresser et leur présenter les perspectives qui s’ouvrent plutôt que de chercher à l’extérieur de nouveaux talents pour combler les manques. Il s’agit d’investir dans les compétences et de combler les lacunes avant qu’elles ne se creusent : un investissement à long terme qui ne peut que stimuler le sentiment d’appartenance et la loyauté du personnel.
5. Repenser le système de protection
L’évolution du marché du travail fait augmenter depuis un certain temps déjà le nombre de travailleurs atypiques, soit les pigistes, les travailleurs à la demande et les employés temporaires ou à temps partiel. La pandémie a brusquement exposé la vulnérabilité de ces personnes en temps de crise, qui pèse de tout son poids sur leur santé mentale. Bien sûr, il est encourageant de voir certains gouvernements appliquer les dispositions législatives sur le paiement de congés de maladie aux travailleurs autonomes ou aux employés à la demande et de constater que certaines entreprises étendent leur système de protection aux pigistes ou au personnel temporaire. On peut certes applaudir les travailleurs de la santé pour leur témoigner notre reconnaissance, mais il n’en faut pas moins revoir en profondeur nos systèmes de protection sociale. Le Groupe Adecco appelait déjà au renouvellement du contrat social, mais c’est maintenant devenu une urgence. Notre projet de contrat social pour le monde du travail du XXIe siècle est un concept qui permet de déterminer, formuler et harmoniser les attentes et les responsabilités de tous les acteurs du marché du travail. Offrir une protection sociale à des travailleurs qui n’en ont habituellement pas, ce n’est pas qu’une question de justice sociale ou le fait de ne plus considérer le travail et les travailleurs comme des produits de base : c’est une mesure indispensable à la résilience de l’économie.
Revenir à la normale?
Qu’est-ce qui fait notre résilience et nous permet de rebondir après une difficulté? Notre capacité d’oubli. Sans elle, impossible d’avancer. Mais l’oubli présente aussi un risque : pressés que nous sommes de récupérer le plus rapidement possible après une crise, gardons-nous de retomber naturellement dans des comportements et des structures qui ne nous ont pourtant jamais bien servis.
La tâche est colossale, mais le retour à « la normale » n’est pas envisageable. Évitons de perpétuer un système détraqué. Le Groupe Adecco croit que l’ambition ultime doit être d’aménager une réalité qui rende l’avenir viable pour tous. Les mots comptent, bien sûr, mais l’action compte plus encore.